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40 ans de sport pour le peuple et de lutte contre l’exclusion et les discriminations

40 ans de sport pour le peuple et de lutte contre l’exclusion et les discriminations

J'écris ce texte à l'occasion de la sortie du dernier livre de Carlos Perez, « Essai sur la vie du mouvement »
 
Son livre précédent, "L’enfance sous pression : quand l’école rend malade", que j'ai aussi lu, témoignait déjà de l'intérêt de Carlos pour le devenir de l'humain, pour le devenir des siens, pour le devenir des membres de sa classe.

Un travailleur, un enfant du monde du travail, qui se sent particulièrement concerné par l'ensemble du monde, et surtout par ceux qui ont le plus dur. Un travailleur qui, grâce à ses 40 années d'expérience, juge, de manière lucide, tout un système qui, dans sa course au profit, détruit les corps et les esprits, et ce dès notre plus tendre enfance.
 
Avant de donner mon appréciation du livre, d’abord un peu d'histoire.
 
Le camarade est un enfant d'ouvrier de Saint-Gilles, il a commencé à travailler à 13 ans. Comme la plupart des enfants, c'est en s'amusant, mais aussi en se révoltant, qu'il apprend la vie.
C'est pour utiliser positivement cette énergie, que sa famille va le pousser vers le sport.

« C’est mon grand frère qui nous a initié a la muscu. C’est un ami de notre père qui était champion d’Europe (Pierre Vandesteen), qui nous avais intéressé à ce sport, on était les seuls gamins dans la salle c’était un grenier, sans douche, sans rien, mais les gens étaient bien. C’était le seule endroit positif, j’étais valorisé aussi, j’étais crevé mais j’y allais. C’était le seul endroit où j’étais valorisé, contrairement à la violence et à la souffrance que je vivais au travail, c’est ce qui ma construit.
C'est le même Pierre Vandesteen, qui, à l'époque, damait le pion à la première compétition de Shwarzi (voir photo). On l’appelait la bombe belge dans le Guiness de la muscu ».

C'est de cette manière que Carlos apprend les vertus médicales et esthétiques du sport, mais encore plus ses vertus sociales.

Avec son frère, il construira plus tard sa salle de sport, autour de la culture physique, mais aussi autour de la volonté de tirer toute une série de jeunes, et de moins jeunes, des mauvaises voies qu'ils auraient prise, cela peut aller de la prison, à la drogue, voir tout simplement de les tirer de la rue, et se faisant il a probablement sauvé des centaines de jeunes et leurs familles.

Ce faisant, venant quand même d'une famille de communiste espagnole, Carlos se rend compte que le sport n'est pas la solution à tout, qu'il est donc nécessaire de remettre tout le système social en question si on veut en sauver les membres. Que la question du sport et de l'hygiène physique, ne peut pas être entièrement résolue dans un système qui crée des crises, des guerres et la misère. C'est de cette manière qu'il va inscrire l'activité de sa salle dans la lutte politique :
 « Le racisme est entré dans la salle avec la première guerre en Irak, c’était devenu inacceptable pour moi. C’est pour cela qu’après j’ai été cherché les jeunes dans les quartiers et que j’ai organisé des tournois de foot ».

La salle nommée Fire Gym s'est beaucoup impliquée pour la lutte pour la paix en Irak, à travers un voyage sportif dans ce pays par exemple. Fire Gym va aussi servir à ouvrir les yeux des membres du club sur le reste du monde, par l'organisation de contacts et de voyages dans différents autres pays: Cuba, Espagne etc.

Son intérêt pour les jeunes va se manifester dans l'orientation de la salle vers les plus jeunes, vers les enfants. Face à l'hyperactivité diagnostiquée pour son fils, Miguel, et surtout face aux pressions qu'il subit de la part du système éducatif pour que son fils prenne des médicaments lourds sous peine d'exclusion, Carlos ne cédera pas. Il se servira du sport pour canaliser toutes cette énergie dans un but positif. Actuellement Miguel est devenu un coach sportif très demandé et un sportif de haut niveau. Le sport ne peut pas résoudre tout les problèmes d'hyperactivité, mais plus de sport ne peut que faire du bien, et dans certain cas c'est même une solution.
 
Fire Gym ne mettra pas de contradiction entre le sport de haut niveau et le sport populaire, dans le cadre de son programme « Top performance », la salle est une véritable pépinière de champion: champion de Belgique d'haltérophilie, champion du monde de jiu-jitsu brésilien, etc...
Le sport de haut niveau ne doit pas servir le big-business, mais doit servir de motivation pour encourager tout le monde à faire du sport et doit permettre de se développer, sans limitation de réseau ou de fortune.

Toute sa vie, Carlos militera pour l'organisation du sport gratuit dans les écoles, pour un véritable service publique du sport. Son dernier livre met clairement en avant la nécessité du sport, pour construire sa santé, mais aussi sa confiance en soi, et, partant de là, sa capacité à influencer notre destin.

Dans son « Essai sur la vie du mouvement », il nous présente une vue plus globale encore de la question, puisqu'on intègre le sport dans l'ensemble plus vaste encore de l'hygiène.
Comme Carlos le met en avant, la lutte pour l'hygiène, pour l'hygiène du sport, pour la pratique du sport lui même est aussi une lutte de classe. C'est après des épidémies qui mettent en danger la capacité du système capitaliste naissant à faire du profit, que les connaissances, déjà présentes depuis longtemps, seront mises en pratique pour organiser l'hygiène dans la rue, comme les services d’égouttage par exemple, les service de salubrité publique, et les service de santé publique.
 
Le système économique qui brise les corps et les esprits pour la nécessité de la production de richesse, se heurte à la volonté des travailleurs, à la volonté syndicale de se protéger, et de garantir sa sécurité au travail. Il ne faut pas oublier, qu’aujourd’hui encore, chaque jour un travailleur meurt de son travail en Belgique. La plupart des morts sont dûs a des maladies cardio-vasculaires. Le caractère sédentaire de nos vies y joue un grand rôle. 3/4 des travailleurs de plus de 55 ans souffre d'une maladie chronique. Il faut beaucoup de volonté pour continuer une pratique sportive régulière, après être rentré d'une journée de travail, et après avoir couché les petit(e)s. Les connaissances scientifiques en nutrition se heurtent aux intérêts du big business de la viande, du sucre, du lait et du reste de agroalimentaire.

Le livre de Carlos se place très bien, parmi les livres qui sont des vaccins en la matière. Ce sont des rappels que nous pouvons, que nous devons, utiliser nos propres cerveaux, nos connaissances, ou celles qui sont disponibles, pour décider que faire de nos corps, de notre santé, et donc de nos vies. Pour nous rappeler où sont nos véritables intérêts.
 
Ce livre dénonce aussi la concurrence qui règne dans la société et dans le sport. A-t-on vraiment besoin de cette idéologie pour faire du sport de qualité? Faut-il faire du sport pour tuer l'adversaire, ou pour collaborer avec lui? Le sport n'est-il intéressant que quand il donne des résultats esthétiques visibles?
Non, répond Carlos, il s’agit d’une lutte culturelle au sens large, car l’idéologie de la performance vient du monde de la bourgeoisie, du monde de l’entreprise, qui veut tout quantifier, au lieu d’activités physiques qui se faisaient dans l’amusement et le loisir. C’est une lutte qui avait été remportée par la bourgeoisie, qui a injecté son idéologie de la performance, même au sein du temps libre des travailleurs. Ce qu’on appelle l’hégémonie culturelle de la classe dominante.

Carlos rompt avec tout cela, même s'il est lui-même très en forme.
En effet le sport qu'il faudrait mettre en avant est plutôt celui d'une pratique régulière, chacun à son niveau, chacun avec ses point forts et ses points faible, quelque soit sa forme ou son âge. Une pratique du sport nécessaire pour réparer les maux de la production de richesse ou de service, une pratique du sport qui redonne confiance en soi, qui nous fait vivre mieux. Une pratique du sport qui lutte contre l'isolement social qui tisse des liens, plus ou moins forts entre les travailleurs, une pratique du sport qui lutte contre les fausses divisions de la classe, une pratique qui nous apprend à nous organiser, et qui donne les compétences aux êtres humains la capacité de se changer soi-même et de changer la société.

C’est le vrai sens de l’expression culture physique, qui veut dire prendre soin, prendre soin de soi, dans le corps et dans la tète.

Merci Carlos pour ton dévouement
Merci Carlos pour ces 40 années d'expériences
Merci Carlos pour ce très beau cadeau


Gérard Mugemangango