La Ville de Bruxelles cède 18 hectares du plateau du Heysel en bail emphytéotique aux mastodontes de l'immobiliser Besix, CFE et Unibail-Rodamco. Ensemble, ils veulent construire l'un des plus grands centres commerciaux d'Europe, 500 habitations de haut standing, un centre de congrès, un hôtel de luxe, une maison de repos et deux crèches. Le PTB Bruxelles débarque toutefois avec un plan alternatif. Moins de magasins et de bureaux, plus de logements, des écoles et des équipements publics dans le quartier.
Bruxelles a besoin d'une politique ambitieuse pour s'atteler à des quartiers vivables. Le plateau du Heysel peut constituer une partie de la solution. Mais, dans ce cas, les plans actuels de Neo doivent être entièrement redessinés afin de faire place à un projet qui tienne compte des besoins de Bruxelles, estime le PTB Bruxelles.
Faites du Heysel une partie de la solution
Bruxelles est aux prises avec une crise du logement, un manque d'écoles et de crèches et un problèmes chroniques de bouchons, responsable pour une part importante de la mauvaise qualité de l'air en ville et en dehors. La ville a la chance de réaménager 18 hectares, une superficie représentant 35 terrains de football et de tenir compte des défis sociaux et écologiques. Ces choix, le gouvernement bruxellois et les autorités communales bruxelloises ne le font pas. Les plans actuels se plient aux souhaits des entreprises immobilières Besix, CFE et Unibail-Rodamco. En tant que consortium, ces entreprises investissent ensemble 800 millions d'euros dans ces 18 hectares et espèrent y construire l'un des plus centres commerciaux d'Europe, 590 habitations dont 500 de haut standing, un centre de congrès, un hôtel de luxe, une maison de repos et deux crèches. Comme dans le cas de Tour et Taxis, l'une des entreprises immobilières (CFE) est en grande partie dans les mains d'Ackermans & Van Haaren : l'un des plus grands holdings belges qui a été mis en cause en raison de ses 22 filiales dans plusieurs paradis fiscaux.
Le PTB entend rompre avec la vente à l'encan de la Ville et plaide pour un plan Neo social, dans lequel des habitations à prix abordables, des équipements publics à proximité et un air propre auront la priorité.
Primo, il y a l'extension du nombre de logement du plan actuel, de 590 à 1200. Le PTB préconise la réduction de 80 % des 72 000 m2 d'espace commercial proposé de façon vraiment mégalomane. Cet espace peut être occupé par ces 610 logements de plus. De l'espace commercial est nécessaire, surtout en fonction du nouveau quartier. Mais 15 000 m2 doivent largement suffire.
Au moins 50 % des logements sur le site Neo doivent être en mains publiques afin de garantir un contrôle des prix locatifs de façon à pouvoir contrer la hausse des prix des loyers. La construction de ces logements doit être l’œuvre d'une entreprise publique intercommunale de construction, de rénovation et d'isolation. Un telle entreprise peut assumer la construction, la rénovation et l'isolation d'un plus grand segment social de familles peu nanties, de la classe moyenne inférieure et supérieure, à l'exemple de ce qui s'est fait à Vienne. Une entreprise assurera une partie des rentrées qu'elle gardera sur le loyer des logements plus onéreux. Des moyens supplémentaires doivent venir à l'aide d'une réforme fiscale, la taxe du droit au logement, qui sera collectée auprès des grands promoteurs immobiliers et des propriétaires qui louent plus de 10 immeubles.
Outre la construction prévue d'une maison de repos et de deux crèches de jour, dans son plan Neo alternatif, le PTB prône la construction, entre autres, d'une bibliothèque, d'une ludothèque, d'une école primaire bilingue, d'une école moyenne ainsi que l'aménagement de plus de verdure. Quant aux 3500 mètres carrés de bureaux, le PTB entend les ramener à 1500 mètres carrés. Le centre de congrès, lui, disparaître complètement. De ce fait, de l'espace sera libéré pour des équipements publics supplémentaires et davantage de verdure.
Le site du Heysel reçoit actuellement 5 millions de visiteurs par an. S'il y vient un centre commercial, on s'attend à 15 millions de visiteurs par an et les problèmes de mobilité déjà existants s'accroîtront encore, avec des conséquences néfastes pour l'économie et la santé. Les normes européennes relatives au NO2 sont systématiquement dépassées, sur le ring et dans ses environs. Et ce, dans une zone où l'on ne trouve pas moins de trois écoles et une maison de repos. Le PTB veut une diminution des rejets de gaz à effet de serre de 60 % pour 2030 et propos à cette fin un projet Neo en rupture complète avec la proposition tape-à-l'œil actuellement sur la table. Même les objectifs peu ambitieux de la Région bruxelloise, une réduction des rejets de 30 % pour 2025, ne pourront être atteints.
En construisant sur le plateau du Heysel un quartier intégral, le parti de gauche répond non seulement aux besoins sociaux des ménages bruxellois. L'espace commercial prévu, lui aussi, à l'instar des espaces de bureaux et des équipements publics, assurera une offre de possibilités d'emplois et de commerces dans les environs immédiats, ce qui fait que le nombre de déplacements insensés s'en trouvera considérablement réduit.
Les partis traditionnels vendent la ville au plus offrant
« Ça va devenir la plus grande destination commerciale d'Europe », annonçaient quelques investisseurs dans Het Nieuwsblad, en 2014. « Le Heysel va recevoir le centre commercial le plus chic de notre pays ! », tel était le titre de l'article.1 Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close (PS), ne peut lui non plus dissimuler son enthousiasme à propos du projet Neo : « Neo doit renforcer le rayonnement international de Bruxelles », peut-on lire sur son site internet. Il est fier du projet Neo : « Nous devons créer la ville ensemble. Je n'ai aucune difficulté à m'asseoir près d'un patron, si tout le monde joue son rôle. Le symbole de mon action politique, c'est Neo », a également déclaré le bourgmestre de Bruxelles dans L’Écho.
Les entreprises immobilières Besix, CFE et Unibail-Rodamco investissent ensemble 800 millions d'euros dans les 18 hectares que leur cède la Ville de Bruxelles. Comme si la vente à l'encan de terrains publics ne suffisait pas encore, la Ville de Bruxelles et la Région bruxelloise libèrent en outre tout un paquet d'argent : quelque 335 millions en investissements via la société publique NEO. Ce montant doit servir à « faciliter, réaliser ou faire réaliser l'aménagement et le développement du plateau du Heysel, de même que la gestion opérationnelle qui en découlera ».2
Dans le projet Neo II, la générosité du bourgmestre Close et du ministre président Vervoort ne semble pas non plus connaître de limites. Les coûts du centre de congrès et de l'hôtel de luxe s'élèvent à 300 millions, dont une moitié sera payée avec l'argent du contribuable et l'autre sera déduite des charges urbanistiques de... Neo I.3
Tant du côté du PS, d'Écolo, du CD&V que du MR, aucun des partis concernés qui depuis 2010 ont siégé au gouvernement de la Région bruxelloise et aux autorités communales de Bruxelles n'a manifesté d'opposition fondamentale à l'interprétation hyper-commerciale de Neo. En 2014, la création de la société publique NEO a été approuvée par tous les partis traditionnels (PS, Sp.a, MR, Open VLD, Écolo, Groen, Défi) et, par-là même, le soutien intégral des pouvoirs publics aux géants de l'immobilier.
Même Ans Persoons, l'ancienne échevine de la Ville de Bruxelles, siégeait dans l'ASBL NEO et explique que, « avec ces ASBL, nous nous occupons entre autres du développement du Heysel, l'un des plus grands projets de notre capitale. Mon travail dans cette ASBL est transparent et justifié. On fournit réellement du travail. »4 Changer Bruxelles, vraiment ? La question la plus préoccupante reste toutefois de savoir pour qui on y fournit tout ce travail...
Quant à savoir si Uplace, Docks Bruxsel et Europea n'ont pas été bien trop ambitieux, Michel Dessolai, directeur général en stratégie et communication d'Unibail-Rodamco, répond : « Nous faisons toujours notre propre projet. Nous ne regardons pas les autres projets du voisinage, même si Dockx et Uplace étaient déjà connus quand nous avons débuté. »5 Après nous le déluge.
Bien trop de commerces vides
Sur le site internet de la société publique NEO, on peut lire que « le développement durable » et « l'échelle humaine » sont prioritaires et qu'au moins 5 000 emplois seront créés. L'exemple d'autres projets, comme Dockx, donnent une tout autre image. Là, sur les 1200 emplois promis, 500 auront été finalement créés.
Puis il y a le nombre déjà existant de commerces vides. Bruxelles se retrouve aujourd'hui avec 140 000 m² d'espace commercial inoccupé. Ces 6 derniers années, cette superficie a augmenté, passant de 6 % à 11 %. Avec ces chiffres en tête, on se rend compte du cynisme qu'il y a à promouvoir l'aménagement supplémentaire de 72 000 m² d'espace commercial en le faisant passer pour un « développement durable ». Et nous ne parlons pas encore ici des emplois qui disparaîtront du fait de la disparition de magasins dans d'autres parties de la ville.
Infarctus étouffant de la mobilité au carré
Déjà maintenant, dans les artères autour du site, sévit quotidiennement un engorgement de la circulation aux heures de pointe. Le projet Neo provoquerait 2000 déplacements de plus à l'heure en semaine, et 4500 de plus à l'heure dans les week-ends.
Pour écouler toute cette circulation, il est question d'une part d'une liaison directe avec l'autoroute A12, laquelle passerait au milieu du parc d'Osseghem, ce qui provoquerait une perte désastreuse de qualité pour le parc même.
Et, d'autre part, il y a les plans d'extension du ring autour de Bruxelles, censés créer une « capacité supplémentaire ». Il s'avère qu'à peu près toutes les études universitaires indiquent qu'il n'est question que d'une réduction temporaire des bouchons déjà existants. L'extension créerait un effet d'aspirateur et, finalement, provoquerait plus de circulation et de bouchons encore. Le cardiologue Marc Goethals lui aussi met en garde contre les conséquences pour les voies respiratoires des particules fines dans le voisinage immédiat du ring de Bruxelles et contre les risques accrus de maladies cardiovasculaires pour les riverains. « Plus un riverain habite près de l'autoroute, plus ses poumons se développeront de façon perturbée. » Les dégâts seront d'autant plus grands chez les enfants dont les poumons doivent encore se développer pleinement et chez les personnes âgées, particulièrement sensibles à la pollution atmosphérique.
Que l'on ait même pas pris ces pistes au sérieux est incompréhensible, lorsque nous considérons les défis auxquels sont confrontés la mobilité et le climat. En 2015, tous les partis de la majorité des gouvernements flamand, bruxellois et fédéral ont encore signé les objectifs climatiques ambitieux et urgents de Paris. Même pas cinq ans plus tard, les travaux pour une cinquième bande de roulage débuteront à Bruxelles, sur une distance de 10 kilomètres.
Neo ne propose aucune réponse à la crise du logement... bien au contraire
Outre le centre commercial, Neo prévoit 590 habitations. Mais de quel genre ? De l'étude des effets du projet, il ressort qu’il s'agit d'appartements de luxe qui seront vendus à des tarifs oscillant entre 240 000 et 300 000 euros. C'est largement au-dessus des moyens régionaux et plus encore au-dessus de ceux des quartiers environnants. Il n'entre nullement dans les intentions des acteurs privés de lancer sur le marché des logements à prix abordable. Entre-temps, plus de 48 000 ménages bruxellois se trouvent pour l'instant sur les listes d'attente pour un logement social et un Bruxellois sur cinq entre en ligne de compte pour ces mêmes logements sociaux. Toutefois, les prix des loyers ne cessent de grimper.
Des 590 habitations prévues, 90 seront accordées aux pouvoirs publics, via le système légalement prévu des « coûts urbanistiques ». Mais, quant à savoir si ces habitations deviendront également de véritables logements sociaux, rappelons-nous : en 2010, le gouvernement bruxellois promettait 30 % de logements sociaux sur le site de Tour et Taxis. Et combien en a-t-on réellement construit ? Exactement, zéro virgule zéro !
Absence de transparence et de participation
Il n'y a pratiquement pas eu de débat public, autour de cette décision. Un problème que les comités de quartier et commerçants des environs avaient déjà dénoncé dès les premières ébauches en 2010. En 2012 déjà, la Commission régionale de développement (CRD) s'est opposée à un centre commercial mégalomaniaque au Heysel. De même, la Plate-forme interrégionale pour un développement économique durable, qui réunit des organisations du monde associatif, a fait appel à plusieurs reprises, mais ses démarches ont été totalement ignorées.
Mais, à propos aussi des personnes qui ont les décisions en main concernant les permis de bâtir et les autorisations environnementales ainsi que de la façon dont ces décisions sont prises, Neo est un bel exemple de politique de coulisse. Les autorités bruxelloises sont en effet juge et partie. Le CEO de Neo est Henri Dineur, un ancien chef de cabinet de l'ancien ministre président bruxellois Charles Picqué (PS). Au conseil d'administration sièges d'éminents membres du PS, comme le bourgmestre de Bruxelles Philippe Close et Denis Delforge. Ce dernier est le CEO de Brussels Expo, l'ASBL de la Ville qui exploite les palais du Heysel. De même, Guenned Abbes, l'ancien mari de Laurette Onkelinx (PS) est administrateur de Neo.
Mauvaise gestion financière et un conseil d'administration au service des développeurs de projet
Fin février 2018, dans le sillage de plusieurs scandales autour des ASBL de la Ville de Bruxelles, Neo s'est joint à cette même liste des scandales urbains. Rudy Vervoort a dû reconnaître que la SCRL Neo avait dépensé 9 millions d'euros en consultance externe. Parfois, les factures se chiffraient même à 27 000 euros par mois.
Tant le ministre président Vervoort (PS) que le ministre du Budget Vanhengel (Open VLD) ont leur propre commissaire gouvernemental qui siège à Neo. Ces hommes avaient une fonction de contrôle mais on très peu tiré la sonnette d'alarme. Très vraisemblablement parce que, dès le début déjà, l'ASBL Neo était un bel embrouillamini entre la politique et l'immobilier. De même, Paul Delesenne, un magnat bien connu de l'immobilier, siégeait dès le début en compagnie d'hommes politiques comme l'ancien bourgmestre Freddy Thielemans (PS), l'actuel bourgmestre Philippe Close (PS), Christian Ceux (CDH), Henri Dineur (PS, ancien chef de cabinet de Charles Picqué) dans les conseils d'administration de sociétés anonymes et d'ASBL « s'occupant » du plateau du Heysel.
En marge du dossier Neo, il y a le contrat entre la Ville de Bruxelles et Ghelamco, le développeur de projet qui, à Gand, doit se charger du stade de football de la Gantoise (AA Gent) et qui s'y est embarqué avec le patron d'Optima, Jeroen Piqueur, condamné pour fraude. On ne doit pas s'étonner que le terrain (le fameux parking C) dont Ghelamco a pu disposer et sur lequel initialement on devait construire un nouveau stade européen, ait été cédé par la Ville de Bruxelles pour la somme « symbolique » de 1 euro par an. Les bénéfices iraient toutefois à Besix et Ghelamco. Maintenant que la Ville de Bruxelles entend à nouveau rompre ce contrat, les coûts juridiques s'élèveront sans nul doute à des hauteurs astronomiques.
La culture d'entreprise dans ce genre de constructions est une culture de directeurs grassement rémunérés, de privilèges entre amis qui se connaissent et de marges bénéficiaires scandaleusement élevées.
Qui sont les gros pontes de l'immobilier, dans le dossier Neo ?
En 2014, la construction du projet Neo a été accordée à un consortium de trois importants groupes de construction : Besix, CFE et Unibail-Rodamco. Grâce aux 335 millions d'euros d'argent du contribuable qui ont été investis dans le site du Heysel, ces entreprises pourront palper de plantureux bénéfices, avec leurs projets de construction. Les trois entreprises, notées en bourse, ne sont pas les moindres. Petit aperçu...
Besix, avec un chiffre d'affaires de 2,2 milliards d'euros par an, est le plus gros acteur belge sur le marché. Mais le sceau « belge » dont on affuble généralement cette entreprise est relatif quand on sait que le principal actionnaire n'est autre que Naguib Sawiris, un milliardaire égyptien dont la fortune est estimée à au moins 5,7 milliards de dollars. Il fait partie de la famille la plus riche d'Égypte qui, selon Forbes, détient une fortune totale de 36 milliards d'euros. Naguib Sawiris est apparu dans les « Paradise Papers » parce qu'il avait transféré une partie de sa fortune dans des entreprises « boîtes aux lettres » du paradis fiscal qu'est Malte.
CFE est souvent décrit comme un « groupe de construction bruxellois ». Le principal actionnaire de cette entreprise est le holding financier Ackermans & Van Haaren. Ces gens, est-il ressorti des Paradise Papers, possèdent 22 filiales dans des paradis fiscaux, dont 12 au Luxembourg. Plusieurs acteurs de ce holding ont des liens étroits avec le monde politique. Ce holding est présidé par le milliardaire Luc Bertrand, dont la fille travaille au cabinet de Didier Reynders. Marc De Pauw, l'un des cadres du holding, est un compagnon de parti du ministre bruxellois Guy Vanhengel (Open VLD). Et le Business Developpement Manager d'Ackermans & Van Haaren est Philip Heylen, un copain de parti de la secrétaire d'État bruxelloise Bianca Debaets (CD&V). Le PTB a rédigé ce dossier sur les pratiques plus que douteuses de ce holding.
Unibail-Rodamco est un acteur de l'immobilier qui se concentre sur la construction de centres commerciaux. L'entreprise est numéro un sur le marché européen et, récemment, elle est parvenue à étendre son empire grâce à la reprise de Westfield Corporation, une entreprise australienne active sur le marché américain de l'immobiliser. Cette même reprise lui a permis en 2018 de devenir le plus important acteur mondial du marché des centres commerciaux et elle a vu son bénéfice net grimper d'au moins 14,5 pour 1200, pour attendre le montant de 703 millions d'euros. Ce n'est donc pas précisément le genre d'entreprise qu'il convient de choyer plus encore avec des investissements publics.