Transparence et contrôle du monde politique : les partis traditionnels font le choix de l’entre-soi
4 août 2023
Après une série de scandales politiques, les députés du Parlement bruxellois avaient voté en 2017 la création d’une commission bruxelloise de déontologie, chargée notamment de contrôler les potentiels conflits d’intérêt des élus. Six ans plus tard, cette commission n’existe toujours pas. Sous prétexte d’accélérer enfin sa mise en place, la quasi totalité des partis représentés au Parlement bruxellois ont donc décidé cette année de faire en sorte que la future commission soit composée essentiellement d’anciens élus. Des politiques qui contrôlent des politiques : la commission bruxelloise de déontologie a peu de chance d’être l’outil miraculeux qui permettra d’éviter le prochain scandale politique.
En 2017 éclate le scandale de corruption du Samusocial, lorsqu’on avait découvert que plusieurs élus PS utilisaient sans compter les revenus de l'asbl chargée de venir en aide aux plus démunis. Les députés du Parlement bruxellois avaient conclu qu'il devait y avoir plus de contrôle et de transparence dans le monde politique. C’est pourquoi ils ont voté à une large majorité une loi conduisant à la création d'une commission bruxelloise de déontologie.
Cette commission, en théorie "chargée de donner des conseils en matière de déontologie, d'éthique et de conflits d'intérêts" au sujet des élus bruxellois, devait être composée de 14 personnes, selon le projet initial : 7 magistrats ou juristes, 4 anciens élus communaux et 3 anciens députés bruxellois. A l’époque, le PTB avait soutenu la création de cette commission, tout en s’interrogeant déjà sur le fait que d'anciens politiciens participeraient également à cette commission "indépendante".
Six années ont ensuite passé sans que cette commission de déontologie ne voit le jour, en partie faute de candidats remplissant les critères de sélection. En 2023, lorsque les députés bruxellois se sont penchés sur la question des conflits d'intérêts potentiels de l'ancien secrétaire d'État Pascal Smet (Vooruit) dans le cadre du scandale des “Uber Files”, la nécessité d’enfin mettre sur pied la commission a fait l’unanimité. C’est pourquoi les partis traditionnels ont proposé d'assouplir les conditions d'éligibilité pour les candidats.
Gros problème aux yeux du PTB : les nouvelles règles proposées vont en fait renforcer énormément la présence d’anciens élus dans la commission de déontologie. Il y a même une possibilité qu’il n’y ait au final que des politiques qui la composent. Alors que dans la version de 2017 la moitié des membres de la commission devaient être des juristes ou d’anciens magistrats qui n’avaient jamais été élus, les partis traditionnels ont en effet décidé aujourd’hui de supprimer cette condition. Ils ont en outre décidé de supprimer pour l’autre moitié des membres la période de 5 ans d’attente obligatoire entre le dernier mandat politique exercé et l’entrée dans la commission de déontologie. Avec ces nouvelles dispositions, les élus seront autorisés à passer directement de leur mandat politique à la commission de déontologie.
Les nouvelles règles proposées posent donc de sérieuses questions sur l'indépendance de cette commission, puisqu’elles renforcent la proportion de politiciens qui vont y siéger et potentiellement le poids des partis politiques sur ses décisions. En fin de compte, des élus parfois issues des mêmes partis devront se prononcer sur leurs camarades de parti. C’est le politique qui contrôle le politique, tout simplement.
Lorsque ces nouvelles règles ont été discutées au Parlement bruxellois, les élus du PTB ont donc voté contre elles et ont surtout tenté de les modifier en déposant plusieurs amendements au texte. Le PTB avait trois propositions : 1) supprimer la présence d’anciens élus politiques au sein de la commission, 2) introduire dans sa composition, en plus des juristes et anciens magistrats, des représentants da la société civile et des syndicats, et 3) assurer que les recommandations faites par la commission soient discutées et éventuellement suivies d’effets.
Toutes ces propositions ont été rejetées sans exception par les partis traditionnels, qui ont défendu l'assouplissement des conditions d'éligibilité. Plusieurs députés ont mis en avant l'intégrité et la fiabilité des parlementaires, en accusant le PTB de mettre tous les politiciens dans le même sac et de tomber dans le “tous pourris”. Difficile pourtant de nier qu’il y une tendance dans le monde politique à se satisfaire du contrôle dans l’entre-soi alors que, par définition, la politique est un métier où l’on doit rendre des comptes à la population. On constate pourtant sondage après sondage que la défiance de la population envers les partis traditionnels grandit. Pourquoi refuser alors d’être contrôlé de manière indépendante par des représentants de la société civile qui ne sont pas issus du monde politique ?
Nous avons besoin d'un organe crédible aux yeux du public, et nous savons très bien qu'il est très difficile de contrôler et de juger ses collègues, des gens qui se connaissent, qui ont travaillé ensemble, qui appartiennent aux mêmes partis. Cela ne peut pas se faire de manière indépendante. La composition de la future commission de déontologie et le refus des partis traditionnels de ne pas en faire un nouvel organe d’entre-soi risquent d’augmenter la méfiance du public à l'égard de la politique. Il est pourtant grand temps de se battre pour qu’émerge une nouvelle culture politique.