Un article paru dans La Capitale début juillet faisait état du taux de logements à « finalité sociale » dans chaque commune bruxelloise. Certaines présentaient fièrement un taux supérieur à 15 % comme Anderlecht (17,87%), Molenbeek (17,73%) ou encore Bruxelles-vile (16,69%). Ces communes sont-elles des exemples en matière de politique de logement social ? Pas si sûr...
Les résultats présentés par Nawal Ben Hamou, secrétaire d’État au logement (PS), sont à prendre avec de sérieuses pincettes. Pourquoi ? Car le terme « à finalité sociale » comprend tant des logements vraiment sociaux, que des logements moyens, modérés, acquisitifs ou encore, des logements AIS (Agences Immobilières Sociales). Dès lors, le terme « à finalité sociale » est un véritable fourre-tout qui est utilisé par le gouvernement pour ne plus faire de distinction entre les logements véritablement « sociaux » et le reste… Les différents partis au pouvoir jouent avec les chiffres et les définitions. Cela leur permet de se montrer « ambitieux » dans leur politique de logement social et de présenter de « bons résultats ».
Le terme « à finalité sociale » est un véritable fourre-tout qui est utilisé par le gouvernement pour ne plus faire de distinction entre les logements véritablement « sociaux » et le reste…
Pour le PTB, les résultats présentés en grande pompe par le gouvernement doivent être corrigés à la baisse. Le taux de logements réellement sociaux à Bruxelles n’est pas de 11,53 % comme l’indique Nawal Ben Hadou, mais de 7,22 %. Une sacrée différence...
En regardant d’un peu plus près les différents types de logements « à destination sociale », on se rend vite compte que certains sont dans les faits inaccessibles pour une grande partie de la population et n'ont plus grand chose de "social".
Les véritables logements sociaux, gérés par les "SISP"
Les Sociétés Immobilières de Services Publics (SISP) sont sous la tutelle de la Société de Logement de la Région Bruxelles-Capitale (SLRB). Il s’agit des « vrais » logements sociaux : les loyers sont fixés selon le revenu du ménage locataire. Ces logements permettent de payer un loyer relativement bas quand on a des revenus bas. Ces biens sont les plus accessibles financièrement mais leur part en Région bruxelloise n’a jamais augmenté.
Ces logements sociaux sont gérés par des SISP au niveau communal (Foyer anderlechtois, Molenbeekois,...) ou intercommunales (Foyer Sud pour Saint-Gilles et Forest). Le financement et la construction des logements sociaux dépendent directement de la SLRB (la Région), principalement dans le cadre de nouveaux projets immobiliers, où se retrouvent majoritairement des logements privés investis par de gros promoteurs.
Pour être candidat locataire, les revenus nets annuels d’un ménage sans enfant ne peuvent pas dépasser 23 283,17 euros. Ce seuil peut être augmenté de 2 217,44€ pour chaque enfant à charge. Il faut savoir que 50 % des Bruxellois correspondent aux critères d’adhésion. Les logements sociaux sont en nombre très insuffisant à Bruxelles mais sont accessible aux ménages les plus modestes.
Logements « modérés » et « moyens »
En ce qui concerne les logements dits "modérés", les loyers ne sont pas fixés en fonction des revenus du ménage, mais sont fixés arbitrairement par la commune qui en est le gestionnaire, via les "régies communales". Les communes peuvent très bien décider de fixer un loyer à 400€/mois pour un deux chambres tout comme elle peut le fixer à 700€ pour le même appartement. Certains logements communaux ont des loyers supérieurs à 1000€. Les "revenus nets imposables" pour un isolé sans enfant pour accéder à un logement dit "modéré" sont de minimum 23.283,18 euros et maximum 34.924,76 euros.
Pour avoir accès à un logement dit « moyen », il faut avoir des revenus plus élevés. On se situe, pour un ménage sans enfant, entre minimum 34.924,77 et maximum 46.566,34 euros. Malgré ces conditions de revenus encore plus élevés, la Région parle toujours de logements à « finalité sociale ». Sur cette base de revenu, le loyer est quasiment aussi cher que dans le privé.
C'est surtout sur ces logements "moyens" que les communes bruxelloises misent actuellement. Car ces logements sont destinés à attirer une classe moyenne avec de bons revenus. Il est difficile de connaitre les objectifs précis de la création des logements modérés et moyens pour la simple et bonne raison que les autorités locales les nomment « logements à finalité sociale ».
Les logements AIS (Agences Immobilières sociales)
Ce sont des logements privés mis en location par des "agences immobilières sociales". Un contrat lie le propriétaire privé avec l’agence sur une durée déterminée. On garantit au propriétaire de toucher un loyer modéré et en contrepartie le propriétaire ne doit plus s’occuper de l’entretien. L’AIS loue parfois le bien à un loyer inférieur à ce qui est payé au propriétaire. La différence est subsidiée par la Région.
Les conditions pour être candidat sont les mêmes que pour les logements sociaux gérés par les SISP. Mais il y a une différence importante : les logements AIS appartiennent à un propriétaire privé. Si vous louez un logement sous contrat AIS mais que le propriétaire décide de vendre son logement ou de ne plus renouveler le bail, vous risquez d’avoir une très mauvaise surprise avec votre loyer lors du renouvellement du bail…
Autre effet indésirable : certaines communes offrent des avantages fiscaux aux propriétaires qui choisissent de travailler avec des AIS. Parfois ces aides sont tellement avantageuses que de plus en plus de gros investisseurs immobiliers construisent des logements AIS pour toucher un maximum d'aide et puis remettre leur bien sur le marché privé. Certains gros propriétaires profitent donc de l'argent public pour ne pas faire de logement à finalité sociale.
Logement acquisitif CityDev
Comme le terme l’indique, ces logements sont à acquérir, à acheter. Certes, leur prix d’achat est moins cher que celui du marché, car ces logements neufs sont en partie subsidiés par la Région. Le but est de permettre à des ménages de devenir propriétaire. Mais il n’empêche qu’acheter un appartement deux chambres d’une valeur de 200 000€ n’est pas donné à tout le monde. Pourtant, ces appartements sont considérés comme « à finalité sociale » par le gouvernement. Combien de Bruxellois sont capables de faire une demande de crédit hypothécaire auprès d’une banque et d'ensuite assumer tous les frais d’entretien ? Que la Région souhaite aider l’accès à la propriété est une chose. Mais parler de logement à finalité sociale ici mensonger.
Ces logements sont construits par CityDev, l’organisme de promotion immobilière régional, dans le cadre de projets immobiliers en partenariat avec les investisseurs privés. Les conditions pour acheter un bien via CityDev sont : avoir un revenu net imposable de maximum 64 688,70€/an, ne pas posséder un autre logement et devoir y vivre pendant au moins 20 ans.
Les logements moyens et acquisitifs ne doivent pas remplacer le logement social
La part de logements sociaux en Région bruxelloise recule : de 7,58% en 2008 à 6,92% en 2019
Quand le gouvernement parle de logements « à finalité sociale », c’est pour brouiller pistes, pour cacher le mauvais bilan en termes de création de nouveaux logements sociaux. Depuis 2008, la part du logement social à Bruxelles a baissé : passant de 7,85 % à 7,22 %. La baisse du taux de logements sociaux et le manque d’investissements sont très inquiétants. Notre Région connaît depuis une dizaine d’années une véritable "crise du logement" : le manque criant de logements abordables et de qualité pour la population. Plus de 45 000 familles sont en attente d’un logement social et cette attente dure souvent plus de 10 ans. Les familles doivent donc survivre dans le marché privé où les prix ne cessent d'augmenter, et la pauvreté s'accroît.
La Région ne fixe plus d'objectifs clairs pour la construction de logements sociaux
Alors qu'à Amsterdam et à Vienne, la part de logement social se rapproche des 50 %, la majorité bruxelloise se contente d'un objectif de 15 % de logements « à finalité sociale ». Cela signifie que non seulement le taux de logement réellement social n’est plus un objectif clair. Mais en plus, la Région estime qu'une part de 15 % est suffisante pour répondre à l'urgence sociale. Même si la construction de logements de type "moyen" n’est pas une politique à rejeter, cela ne peut se faire au détriment du logement véritablement social, accessible à toutes et à tous. Pour rattraper le manque cruel de logements sociaux, le PTB demande une part de 30 % de logements sociaux dans chaque grand projet immobilier, financés directement par les promoteurs (via le mécanisme déjà existant des "charges d’urbanisme"). Autre mesure concrète qui ne coûterait rien à la Région pour lutter contre l’augmentation des loyers à Bruxelles et de la pauvreté : un encadrement contraignant des loyers sur base de critère objectifs.
Voici ci-dessous les « vrais » chiffres de la part de logement social pour chaque commune.
Tableau comparatif du taux de logements sociaux donnés par Nawal Ben Hamou et ceux dont le loyer dépend des revenus
|
Part de logement à « caractère social » |
Part de logement social géré par les SISP - 2020 |
Part de logement social géré par les SISP - 2008 |
Anderlecht |
17,87 % |
10,21 % |
10,98 % |
Auderghem |
6,47 % |
5,24 % |
6,03 % |
Berchem Sainte-Agathe |
13,14 % |
7,60 % |
7,62 % |
Bruxelles |
16,69 % |
8,95 % |
10,44 % |
Etterbeek |
7,55 % |
5,37 % |
6,21% |
Evere |
15,45 % |
11,54 % |
13,64% |
Forest |
9,93 % |
4,88 % |
5,60% |
Ganshoren |
15,54 % |
11,35 % |
12,37% |
Ixelles |
5,09 % |
3,14 % |
2,94% |
Jette |
10,96 % |
5,72 % |
6,25% |
Koekelberg |
11,5 % |
5,31 % |
5,89% |
Molenbeek |
17,73 % |
8,95 % |
9,56% |
Saint-Gilles |
10,35 % |
4,16 % |
4,40% |
Saint-Josse |
15,4 % |
7,81 % |
7,28% |
Schaerbeek |
8,1 % |
4,40 % |
4,28% |
Uccle |
5,56 % |
3,98 % |
4,39 % |
Watetermael-Boitsfort |
18,73 % |
17,42 % |
18,05% |
Woluwé Saint-Lambert |
10,37 % |
8,76 % |
10,38% |
Woluwé Saint-Pierre |
5,28 % |
4,42 % |
4,92% |
Moyenne RBC |
11,53 % |
6,92 % |
7,58 % |