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Fact checking : l’enfumage du gouvernement bruxellois contre « les loyers abusifs »

Fact checking : l’enfumage du gouvernement bruxellois contre « les loyers abusifs »

A Berlin où le plafonnement des loyers existe déjà, la ville a réussi à faire baisser les loyers de 10% en 2020. Si c’est possible dans d’autres villes européennes, pourquoi ne pas s’en inspirer à Bruxelles ? En ce début d’année 2021, le PTB a déposé au parlement une proposition pour faire baisser les loyers et pour soulager bon nombre de locataires qui ont la tête sous l’eau. La proposition serait contraignante. A la suite de cela, trois mois plus tard, les partis de la majorité gouvernementale (PS-Ecolo-Défi-sp.a-Groen-Vld) ont introduit leur propre proposition « contre les loyers abusifs ». La proposition n’est pas contraignante. Pour le PTB, la proposition de la majorité n’aura quasiment aucun effet réel. Explications.

 

1. Seule une minorité de loyers sont visés, alors que la plupart des loyers sont trop chers

Il y a quelques années, le gouvernement a mis en place “une grille indicative des loyers”. Les locataires peuvent visiter un site internet, entrer les principales caractéristiques de leur appartement et constater par eux-mêmes que leur loyer est plus ou moins proche d’un “loyer de référence”.

Les partis de la majorité bruxelloise ne veulent s'attaquer qu'aux loyers qui dépasseraient de 20% ce “loyer de référence”. Dans le cas où le loyer dépasserait de 20 % le loyer de référence, le loyer est alors défini comme “abusif” et est théoriquement attaquable par le locataire. Les loyers peuvent donc augmenter jusqu’à 19,99 % au-dessus du montant de référence. Cette mesure ne pourrait toucher dans le meilleur des cas qu’une infime partie des loyers. De plus, un propriétaire pourrait quand même continuer à appliquer un loyer abusif s’il a l’accord du locataire [1]. Dans la réalité, ce sont les ménages en situation précaire qui ont le plus besoin d’une solution de logement qui seront obligés, par la force des choses, “d’accepter” ces loyers trop élevés, faute de mieux. 

Mais pour le PTB, il y a un problème avec la majorité des loyers actuels et pas seulement avec ceux dépassant les 20 % du loyer de référence. La proposition du PTB impose donc que tous les loyers soient dans la grille de référence (ou en-dessous). C’est-à-dire qu’ils ne pourront plus dépasser le montant de référence maximum de la fourchette. Il s’agit d’une mesure contraignante qui s’appliquerait donc à tous les loyers.

2. Les locataires devront faire des démarches compliquées et risquées, alors que le locataire devrait être d’office dans son droit si son loyer est trop élevé

Dans la proposition des partis de la majorité,  c'est au locataire de faire les démarches nécessaires s’il trouve son loyer trop élevé. Le locataire pourra saisir une “commission paritaire locative” (CPL, composée de représentants des propriétaires et des locataires) s’il montre que son loyer est effectivement “abusif” selon la définition. Cette commission ne donnera qu’un avis consultatif. Et si en plus le propriétaire ne souhaite pas baisser le loyer, alors c’est le locataire qui devra se rendre chez le juge de paix. Bref, pour baisser un loyer abusif, le locataire doit faire un procès en justice à son propriétaire... Ces procédures sont longues et chères, très peu de familles et certainement pas les plus fragiles ont accès à ces procédures. Et peu de locataires vont oser s’attaquer de la sorte à leur propriétaire.

Dans la proposition du PTB, c’est d’abord le propriétaire qui est obligé d'appliquer la grille, aucun loyer ne peut être en dehors de la “fourchette”. Le loyer de référence et les critères doivent apparaître dans le contrat de bail. C’est un travail qui doit être fait par le propriétaire, avec l’accord du locataire. S’il n’y a pas d’accord sur les critères et les valeurs données par la grille au moment de l’inscription dans le contrat de bail, le locataire peut d’initiative baisser son loyer (jusqu’au montant maximum de référence). Et c’est au propriétaire, s’il n’est pas d’accord, de saisir la commission paritaire locative (CPL). Cette commission tranchera et sa décision sera contraignante (même si un recours est toujours possible devant le juge de paix).

3. Les loyers de référence vont continuer à augmenter, alors qu’il faudrait geler l’augmentation des loyers 

Les partis de la majorité veulent que la grille de référence des loyers soit actualisée tous les deux ans afin qu’elle reflète toujours les prix du marché. Les loyers de référence et les loyers abusifs vont donc continuer de suivre l’augmentation du marché. Les loyers du marché ont considérablement augmenté ces dernières années, bien au-delà de l’évolution du coût de la vie (inflation). Ils vont continuer à augmenter si aucune mesure contraignante n’est prise. La proposition de la majorité ne vise donc pas à baisser les loyers à terme ni même à stopper leur augmentation. Au contraire, le signal est donné que l’augmentation, au-delà du coût de la vie, est “normale”.

Le PTB se base sur la grille de référence actuelle du gouvernement qui reflète les prix de 2012, 2013, 2015. Et dans sa proposition, le PTB impose de geler cette grille (seuls l’indexation pourra avoir lieu, pas la spéculation sur le marché). Les loyers ont augmenté bien plus vite que les salaires ces dernières années, il est donc bien normal de geler la grille et de ne plus faire évoluer les loyers de référence que selon l’évolution normale du coût de la vie.

4. Pas de sanction prévue si la loi n’est pas appliquée

Un des grands problèmes dans la proposition de la majorité c’est aussi l’absence de sanction si la loi n’est pas appliquée. Or, dans les systèmes d’encadrement des loyers mis en place dans les autres villes d’Europe, des sanctions sont bien prévues. Ainsi à Paris, des amendes de 5 000 à 15 000 euros sont prévues en cas de non application des loyers de référence. Et les autorités publiques annoncent même un renforcement des contrôles, nécessaire à la baisse des loyers. A Berlin, le montant des amendes peut atteindre 50 000 euros.

On imagine mal comment des propriétaires, sans sanction prévue en cas de non respect à Bruxelles, vont bien faire baisser leurs loyers… Contrairement à la proposition de la majorité, la proposition du PTB permet à l’Inspection Régionale du Logement d’apposer des amendes aux propriétaires qui ne se conformeraient pas à la nouvelle loi.

 

Exemples tirés d'Immoweb : 

A Schaerbeek, un appartement avec une chambre de 65 m² avec terrasse. Le loyer demandé est de 600 euros. Suivant la grille de référence, la fourchette oscille entre 465 et 593 euros.

Avec la proposition du gouvernement, en appliquant dans le calcul les 20% au-dessus du loyer de référence, le propriétaire pourrait même demander jusqu’à 636 euros. Donc dans ce cas-ci, le locataire ne peut pas demander de revoir le loyer.

Avec la proposition du PTB, le locataire pourrait de sa propre initiative ne payer que le loyer maximum, donc ne payer de lui-même que 593 euros de loyer.


À Saint Gilles, un appartement deux chambres de 85 m². Le loyer demandé est de 750 euros.

En faisant le test de la grille des loyers, la fourchette donnée par la grille indicative des loyers est de 526 euros à 665 euros maximum. Avec la proposition du gouvernement, en appliquant dans le calcul les 20% au-dessus du loyer de référence, le propriétaire peut demander jusqu’à 715 euros. Donc dans ce cas-ci, le locataire pourra demander de revoir le loyer et devra peut-être aller en justice.

Avec la proposition de PTB, si le propriétaire n’a pas rectifié de lui-même, le locataire pourrait de sa propre initiative ne payer que le loyer maximum, donc 665 euros.

 

 

[1] Interview d’un député PS dans un article du journal Le Soir intitulé “Bruxelles: un organe de conciliation pour s’attaquer aux loyers abusifs” (25/02/2021) : “S’il continue d’y avoir sur le marché des biens très chers et que des locataires ont la possibilité de se les offrir, libre à eux de le faire au regard de la loi contractuelle.”