Des pompiers pris pour cibles. Des camionnettes, une voiture et une crèche incendiées. Mais que se passe-t-il dans le quartier de la Querelle aux Marolles ? Comment expliquer qu'une poignée de jeunes en arrive là ? Combien d'incidents devrons-nous encore compter avant que les politiques entendent la détresse qui s'exprime parmi la jeunesse de certains quartiers populaires de Bruxelles ? On ne peut plus attendre. Pour nos jeunes, pour la sécurité des services de secours, pour les habitants des quartiers qui ont le droit de vivre en paix, il est temps de poser des actes concrets.
D'où vient cette colère exprimée par certains jeunes ?
Promenez-vous dans le quartier des Marolles et vous verrez de vos propres yeux un concentré d'injustices dans un petit coin de notre « riche capitale ». A quelques mètres du quartier chic du Sablon, le quartier de la Querelle aux Marolles. Des tours de logements sociaux en mauvais état aux ascenseurs souvent cassés, un taux de chômage élevé, une vie de quartier au point mort sans activité pour les jeunes, sans salle de sport, ni maison de jeunes... « Au temps de nos grands frères, il existait une maison de jeunes. On est venu avec des propositions pour pouvoir se réunir et faire du sport, mais on ne nous écoute pas, il n'y a jamais rien pour nous ici », témoigne un jeune du quartier. Même son de cloche du côté des animateurs qui se sentent dépassés, malgré toute leur bonne volonté. « Les jeunes en ont marre des politiciens qui font des promesses lors des élections et n'investissent pas dans le quartier. Ce qu'ils veulent, c'est pouvoir faire des activités, sortir un peu la tête du quotidien, avoir un job. Mais quelles perspectives on leur donne ? Qu'est-ce qu'on est sensé faire nous, avec si peu de moyen ? », témoigne un éducateur du quartier.
A cette réalité de quartier s'ajoute une autre réalité, sous les radars, mais bien présente au quotidien : les contrôles de police répétés à l'égard des jeunes, parfois même plusieurs fois par jour. « Il y a trop de policiers ici, trop de contrôle du matin au soir. Nous ne sommes pas d'accord avec ça, nous. Ce sont aussi nos enfants qui se font contrôler tout le temps pour rien », témoignent deux mères habitant dans les logements sociaux de la Querelle. Plutôt que d’encourager une police de quartier qui connaît le terrain et ses habitants, la Ville de Bruxelles a réduit les heures d'ouverture du commissariat de quartier. « On voit la différence. Quand le commissariat de quartier est fermé le soir, ce sont des flics qui ne connaissent pas du tout la zone qui débarquent », témoigne un animateur. Plusieurs jeunes se plaignent de leurs interventions particulièrement musclées et racistes. « Plusieurs témoins nous ont aussi raconté qu’il y a quelques semaines, un père de famille bien connu dans le quartier a été maltraité par des policiers lors d’un contrôle. Ca a été un déclencheur des incidents. Ils ont raison d’être en colère. Mais on doit apprendre aux jeunes à exprimer leur colère d’une autre façon », témoigne un autre animateur.
Les témoignages de jeunes injuriés, humiliés, agressés et menacés de représailles s'ils portent plainte, se multiplient. Ce sont par ailleurs souvent les mêmes policiers qui connaissent déjà très bien les identités des jeunes. Pourquoi ces contrôles ? Améliorent-ils la vie dans le quartier ? Ces violences morales et physiques ne sont malheureusement pas des cas isolés et touchent quasi systématiquement les jeunes de quartier d'origine immigrée (aussi appelé le profilage ethnique). Ces violences répétées de la part de la police ont déjà été dénoncées par de nombreuses organisations comme Amnesty International1 ou encore La Ligue des Droits humains, qui coordonne un observatoire des violences policières en Belgique « Police watch2 ». Quand la police, censée nous protéger, accueille en son sein les bourreaux d'une partie de notre jeunesse, nous ne pouvons pas seulement « condamner » les actes de violence de certains jeunes. Nous devons oser nous attaquer aux racines de leur détresse.
Des mesures directes avec peu de moyens
En avril dernier, suite à un violent contrôle de police qui avait été médiatisé sur les réseaux sociaux, une quinzaine de jeunes des Marolles ont été à l’initiative d’une rencontre avec Philippe Close, le Bourgmestre de Bruxelles, et des représentants de la police de la zone Bruxelles/Ixelles. Les jeunes ont partagé leurs témoignages sur les violences policières dont ils sont la cible et ont fait des propositions concrètes. Mais où en est-on aujourd'hui ? Quelles réponses concrètes les autorités ont-elles apportées à ces jeunes ?
Leurs propositions sont pourtant concrètes et positives. Certaines d’entre elles sont tout à fait réalisables rapidement et avec peu de moyens. Ils veulent notamment avoir accès à des activités (sportives, culturelles…) pour sortir du quartier. Il existe déjà à Bruxelles des infrastructures et un tissus associatif et sportif denses qui pourraient accueillir gratuitement et directement une partie des jeunes. Les chèques sportifs par exemple représentent peu d'investissement dans le budget d'une Ville comme Bruxelles. Cette solution pourrait être adoptée en attendant l'ouverture d'un vrai espace sportif dans le quartier de la Querelle. Cela implique de la part des autorités de la Ville (majorité PS, Ecolo, Défi) de faire d’autres choix politiques. Les activités sportives ou récréatives sont aujourd’hui trop chères et inaccessibles pour beaucoup de jeunes Bruxellois.
Les maisons de jeunes sont des lieux de vie importants dans les quartiers. C'est souvent là que les jeunes construisent des liens de confiance avec des adultes qui sont à leur écoute. Certains d'entre eux ont eux-mêmes grandi dans le quartier et en connaissent bien les difficultés. C'est aussi dans les maisons de jeunes que naissent des projets artistiques, musicaux, des projets d'entraide, qui animent le quartier, valorisent les jeunes et les forment à des compétences nécessaires dans la vie active. De très belles initiatives ont d’ailleurs vu le jour pendant le confinement, comme des jeunes d’Anneessens qui ont préparé pendant le confinement des colis alimentaires. Aujourd’hui encore, ils continuent leur mobilisation et ont distribué des centaines de cartables pour la rentrée scolaire. La maison de jeunes, ça peut être une vraie bouffée d'air, où se retrouver pour parler, juste passer du temps ensemble. Dans le quartier de la Querrelle, un local existe déjà. Alors pourquoi ne pas engager quelques éducateurs et ouvrir une nouvelle maison de jeunes ?
Les incidents des Marolles sont inacceptables, nous devons travailler à ce que ça ne se reproduire plus. Tout le monde a le droit de vivre en paix, d’être traités avec respect et de faire son travail dans de bonnes conditions. C’est une bataille de toute la société, qui ne doit laisser de côtés ni les jeunes de quartier, ni ses habitants, ni les travailleurs des services publics.